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La culture par une nulle
30 juillet 2013

Les JMJ au Brésil: les enjeux de la médiatisation des manifestations

Dimanche 28 juillet, le Pape a conclu sa semaine des JMJ au Brésil. Le déroulement de cet événement s’est fait dans un contexte de manifestations contre le gouvernement de Dilma Rousseff. Avec l’arrivée du Pape offrant une vitrine médiatique sans précédent, les manifestants en ont profité pour diffuser leurs messages et espoirs au monde entier.

Le Brésil fait face depuis début juin à de nombreuses manifestations. Celles-ci ont commencé par l’annonce de l’augmentation de 20 centimes du ticket de transport. Cette hausse, certes très importante au vu des salaires au Brésil, n’a été en fait que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Les Brésiliens connaissent une situation économique et politique difficile : malgré un taux de chômage assez bas (5.4 % de la population active), la croissance du pays a fortement ralenti et les carences en matière d’éducation et de santé sont criantes. Si le pays a connu une réduction des inégalités, notamment sous la gouvernance de Lula, le « Géant » reste dans la liste des 20 pays dans le monde où les inégalités sont les plus fortes. La présidente Dilma Rousseff ne fait pas l’unanimité. On lui reproche de ne pas agir contre la corruption du monde politique, de ne pas mettre en place des réformes sociales profondes et de n’avoir pas une ligne économique très claire. Beaucoup considère qu’elle s’est contentée de surfer sur l’héritage politique de Lula pour obtenir le pouvoir. A ce tableau politique et économique difficile s’ajoute une critique des dépenses faramineuses des deniers publics pour financer la Coupe du Monde de football en 2014 et les JO de 2016.

Menées au départ par les populations pauvres des grandes villes brésiliennes, les manifestations ont vu leurs rangs s’élargir par la venue d’une population issue de la classe moyenne. Plutôt jeunes, plutôt diplômés, ces manifestants de la classe moyenne se sentent aussi délaissés par la politique de Rousseff.

Ces révoltes ont commencé de manière assez spontanées, souvent en utilisant les réseaux sociaux et sans pour autant qu’il y ait un véritable chef de file. Cette absence de leader a d’ailleurs été un handicap sur trois points. Tout d’abord, cela a pendant un temps essoufflé le mouvement. Ensuite, les revendications ont eu du mal à passer (d’autant plus quand le gouvernement a fait un peu le sourd). Enfin, cela a été une source de reprise par d’autres acteurs qui ont tenté de tourner le mouvement en leur faveur. Le 11 juillet, les cinq principaux syndicats du pays ont appelé à la mobilisation pour obtenir des mesures dans la santé, l’éducation et les transports. Cependant, beaucoup de Brésiliens y ont vu une tentative de récupération politique d’un mouvement qui se voulait justement apolitique. Les syndicats sont très liés au monde politique et notamment du Parti des travailleurs au pouvoir dont plusieurs membres sont issus des syndicats de l’époque de Lula.

Face à ces craintes, le séjour du Pape est arrivé à point nommé pour permettre non seulement de redonner du souffle aux manifestations mais aussi pour y donner une résonance dans le monde entier. En effet, si les mouvements brésiliens ont fait l’objet de plusieurs traitements médiatiques à l’étranger, ils n’ont pas non plus été les sujets favoris : les événements en Egypte ou encore en Syrie ont davantage sollicité les rédactions. Qui de mieux que le Pape pour mettre la lumière sur le pays et ses problèmes ? De plus, le Pape lui-même ne pouvait que satisfaire des Brésiliens qui sont à reconquérir : le catholicisme est en recul depuis une bonne dizaine d'années, concurrencé par les églises évangéliques.

Une médiatisation réussie

Parmi les groupes de manifestants qui ont profité de la médiatisation, on retrouve les Anonymous brésiliens qui ont calqué leurs actions en fonction de la semaine papale, le tout relayé par les réseaux sociaux. Ils visaient ainsi à protester contre les 118 millions de réals (40 millions d'euros) dépensés pour la venue du Pape, à s'opposer au maintien au pouvoir du gouverneur de l'Etat de Rio Sergio Cabral, à dénoncer les violences policières et à défendre la laïcité. De nombreux autres appels à la mobilisation ont aussi été effectués par d'autres groupes.

En parallèle, d'autres revendicateurs ont aussi bénéficié de cette médiatisation des manifestants pour obtenir une reconnaissance par l'Eglise : une « marche des salopes » a été faite pour plaider l'avortement et le mariage gay par exemple.

La réaction du Pape a été à la hauteur des espoirs placés en lui : « S'il vous plaît ne laissez pas les autres devenir les acteurs du changement […]. Ne restez pas au balcon de la vie, Jésus n'y est pas resté. Il s'y est engagé ! Engagez-vous y comme l'a fait Jésus ». Au-delà de la portée religieuse et au-delà de la volonté de l'Eglise catholique de reconquérir le « Géant », les paroles du Pape ont donné une reconnaissance politique aux mouvements car le souverain pontife est ainsi le premier chef d'Etat étranger à réellement donner un écho. Les médias du monde entier et notamment d'Europe ont diffusé le message du Pape tout comme ils ont été les témoins des nombreux couacs pendant les JMJ : bombe neutralisée, bain de foule non contrôlé, programme modifié, transports en commun bondés...l'ensemble a montré l'incompétence des pouvoirs publics et a donc justifié les actions populaires. Les médias deviennent ainsi le principal relais pour faire pression sur le gouvernement. Cependant, cette utilisation des médias peut être à double tranchant.

La méfiance des Brésiliens pour les médias mainstreammontrant surtout les violences

Si les manifestations ont pu faire l'objet de nombreux articles, reportages ou photos, les médias traditionnels ont parfois tendance à surtout mettre en avant la violence plutôt que les messages. Deux exemples sont parlants. La première est la couverture de la finale de de la Coupe des confédérations. Pendant que l'équipe brésilienne battait l'Espagne, des manifestations ont eu lieu aux abords du stade Maracana. Alors que de nombreux Brésiliens manifestaient pacifiquement, l'accent a été mis sur une minorité assez violente et qui a été fortement réprimée par la police à coups de balles en caoutchouc et de bombes lacrymogènes. Le second exemple est la médiatisation des destructions de banques à Sao Paulo le vendredi 26 juillet au soir. Cet acte perpétré par environ 300 manifestants a été relayé par plusieurs journaux français (par exemple Le Parisien), photos à l'appui, pour montrer la violence des saccages. Etait-ce vraiment l'événement à couvrir ? Ces 300 manifestants sont-il l'essence des millions d'autres Brésiliens dans la rue ? Non, mais le choquant attire.

Les Brésiliens ne sont cependant pas aveugles sur la récupération de leurs actes par les médias. Avant même la venue du Pape, dès les premiers temps des revendications, les manifestants ont accusé les chaînes de télévision, dont la puissante Globo, de médiatiser uniquement les violences et d'être ainsi des manipulateurs de la vérité, à la botte des politiques d'autant plus que les médias sont fortement concentrés dans le pays (lire à ce propos cet article sur l'AFP). Les manifestants ont donc très rapidement privilégié les réseaux sociaux et le journalisme improvisé basé sur des vidéos caméras embarquées ou faites par des téléphones portables. Ces médias sociaux, ce sont les Midia Ninja, acronyme pour « Narrations indépendantes, journalisme et action ». Midia Ninja existait déjà avant la fronde sociale mais il a pris une importance considérable depuis le mois de juin. Nourri par les manifestants eux-même, Midia Ninja témoigne des révoltes avant même que les médias mainstream soient sur place. Ironie du sort, ces manifestants témoignant en direct des événements se sont vus aussi critiqués par certains pour leurs images violentes ce dont ils se sont défendus.

Le peuple brésilien connaît donc les dangers de la médiatisation mais c'est le risque à payer pour qu'on ne l'oublie pas. C'est pourquoi il n'a pas hésité à solliciter les médias au maximum pendant ces JMJ. Et même si certains médias ne passent pas le message pas comme il le souhaiterait, tout est bon à prendre et il a raison. En effet, quelque soit l'angle de vue choisi par les journalistes, le mouvement social brésilien a un fort écho auprès des populations européennes et notamment française. Il suffit de lire les commentaires des articles évoquant le Brésil et ses manifestations pour sentir que le peuple brésilien est soutenu et sert de modèle : « De tout cœur avec les Brésiliens qui nous montrent la voie », « A quand la même chose en France ? » sont quelques exemples parmi de nombreux commentaires sur la toile. La France rêve-t-elle tout bas de ce que les Brésiliens, eux, font tout haut ?

La question qui se pose maintenant avec la fin des JMJ c'est l'avenir médiatique de ces manifestations au Brésil. Il semblerait que cette médiatisation mondiale a plus ou moins repris l'avion en même temps que le Pape. Pratiquement aucune nouvelle n'est provenue du Brésil jusqu'à ce mardi mais c'était pour évoquer le mini-tsunami à Rio provenant d'une rupture de canalisation d'eau. Il faut espérer cependant que même sans grande médiatisation, le « Géant » réussisse à faire valoir ses revendications auprès des pouvoirs publics. A suivre...

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