Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La culture par une nulle
2 décembre 2013

Petite(s) histoire(s) de manipulation de l’Histoire

L’Histoire n’aura jamais autant inspiré les journalistes, les politiques et les citoyens qu’en ce moment. Tout sujet est prétexte à une comparaison historique, à une résurgence des événements passés dans notre présent. Si l'Histoire doit servir à éclairer le présent, on a souvent l'impression que ce dernier se sert d'elle. Plusieurs événements récents nous font voyager dans le temps mais ont souvent un même point commun : une manipulation ou du moins une contorsion de l'Histoire.

1983...

Commençons par une récupération historique « festive » à savoir celle de la Marche des Beurs en 1983 par le Petit Journal de Yann Barthès.

Il y a deux semaines et en replay lundi 25 novembre, le Petit Journal a organisé une nouvelle marche contre le racisme. Maxime Musqua, le chargé des défis de l’émission, a ainsi parcouru à pied pendant une semaine l'itinéraire Lyon-Paris. Tous les soirs, l’émission faisait un bilan de l’étape avec les moments saillants : offrandes de la population, appels téléphoniques particuliers comme Christiane Taubira, moments de délire et de liesse.

Mais, au-delà de ces images joyeuses, quel était le véritable objectif du Petit Journal ? Plus ou moins officiellement, c’est un hommage à cet événement et la volonté de montrer que la France n’est pas raciste même trente ans après la marche, la vraie, l’historique.

Cependant, cette action menée par Canal + donne des airs de bonne publicité gratuite pour une autre marche : La Marche, le film… co-produit par…Canal + !!! D’ailleurs, les acteurs du film ont été reçus à la fois dans le Petit Journal (Jamel Debbouze apparaît lors de la marche), dans le Grand Journal et dans leBefore…Sacrée promotion !!

Ne parlons même pas de la publicité de l’émission en elle-même… A titre d’exemple, une séquence montre Maxime Musqua dire à « ses » marcheurs dans une zone inondée de tomber pour être filmé et faire ainsi des images rigolotes pour l'émission.

Est-ce que cette reconstitution de la marche peut être réellement considérée comme un hommage à la véritable de 1983 ? Non, Canal + manipule clairement cet événement pour son propre profit.

Bon arrêtons ici ce récit d'une récupération historique pour des intérêts purement médiatiques (et mercantiles) pour évoquer des récupérations politiques et sociales beaucoup plus intéressantes.

1675...

La révolte et les révolutions, telles sont les nouvelles cartes historiques jouées en cette période de crise et d'insatisfaction politique.

Le premier événement qu'on peut mettre en avant est celui des bonnets rouges faisant référence à ceux de 1675. Le professeur Alain Croix, dans l'interview de Stéphane Allais pour Médiapart, mais aussi dans sa tribune avec André Lespagnol et Fañch Roudaut, a insisté sur le fait que si la révolte de 1675 et celle de 2013 sont liées à un contexte de crise économique et de sentiments de prélèvements injustes, elles ont aussi des différences notables. La révolte de 1675 n'était pas une révolte contre le roi alors que celle de 2013 est une révolte contre le gouvernement.

Enfin et surtout, ce mouvement est une manipulation des gros agriculteurs et chefs d'entreprise de l'agroalimentaire qui rejettent sur le gouvernement leurs propres fautes : un productivisme à tout va pour obtenir des aides européennes et aucun virage économique effectué alors qu'ils savaient que ces aides cesseraient.

Certains journalistes, rares cependant, ont dénoncé dès le départ de la révolte les vrais coupables à l'image de Jacques Gaillard dans un article de Bakchich.

1788...

Le deuxième événement évoquant cette fois-ci une autre page de notre histoire nationale est la Révolution fiscale menée par le Front de gauche. Ce dimanche 1er décembre, le rassemblement politique a organisé une manifestation contre « ras-le-bol de l'injustice fiscale » selon les propos de Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche ou encore, de manière plus triviale, le « fisc fucking » (la hausse de la TVA pour compenser les baisses de charges pour les entreprises). Avant même le départ de la manifestation, Jean-Luc Mélenchon a évoqué le fait que la France était en 1788 : 1788 était l'année de la crise financière, économique et frumentaire, prélude à la convocation des Etats généraux. Pour lui, l'instauration d'un impôt universel et juste doit être effectué pour « abolir les privilèges » (comme une certaine nuit du 4 août?)

Mais, qu'en est-il vraiment de ce parallèle?

Dans Atlantico, Laurent Avezou, historien et professeur en classes préparatoires, remarque que cette comparaison n'est pas nouvelle (Pierre Mendès France avait dit la même chose en 1953) et qu'elle est typiquement française : rien ne semble pouvoir changer sans passer par un « reversement intégral pour déboucher sur une nouvelle harmonie ». Il insiste sur le fait que la pré-révolution de 1788 était une révolution de privilégiés et non une lutte des démunis contre les privilégiés, évoquée par Mélenchon. Plus loin, il met en garde sur l'utilisation de l'Histoire pour expliquer le présent : « L'Histoire ne sert pas à donner des leçons au présent. Elle permet, plus modestement, d'en faire ressentir le caractère composite et irréductible aux simplifications. »

Au-delà de ces propos, on ne peut pas nier que Jean-Luc Mélenchon cherche, à travers cette référence historique et son mouvement de révolution fiscale - aussi intéressant soit-il - à relancer son mouvement politique et à contrer Marine Le Pen plus forte que lui, malheureusement, pour récupérer les mécontents au sein de son parti.

Cependant, il serait faux de donner la paternité de cette comparaison historique à Mélenchon car le parallèle 1788/2013 a été évoqué sur plusieurs forums des semaines avant.

Dans le cas des bonnets rouges comme de la Révolution fiscale, on peut regretter ce choix de vouloir à tout prix comparer ces mouvements à d'autres passés. Ne faudrait-il pas plutôt les mettre en avant pour leurs intérêts propres et en faire des événements singuliers à part entière ?

Années 30...

Le dernier événement ne fait pas référence à l'histoire des révoltes et révolutions mais évoque un épisode noir de l'histoire mondiale : la montée du populisme et de l'extrême droite en France et en Europe. Courrier International, dans son numéro 1202 du 14 au 20 novembre, a monté tout un dossier d'articles sur cette tendance européenne. Cette montée - qui prend des visages différents selon le pays - nourrie par la crise économique, ne peut que rappeler les mauvais souvenirs des années 30.

En France, ce populisme se caractérise par une montée du FN...du moins dans les sondages qui se sont multipliés en quelques mois - au point de se demander quel est l'objectif des médias - mais aussi concrètement dans des élections comme les cantonales de Brignoles. Il se caractérise par la récupération du moindre mouvement social par ce même parti mais également par les traditionnels : la récupération du mouvement des bonnets rouges en est un exemple parmi d'autres. Il se caractérise aussi par des propos racistes symbolisés par la « banane » ou la « guenon » de Christiane Taubira. Chacun peut y voir la résurgence d'une radicalisation de la pensée ou la manifestation exagérée d'un ras-le-bol généralisé, n'empêche que ce populisme fait peur, tellement peur que même le PS organise pour le 18 décembre uncolloque sur la question.

Le PS n'est pas le seul à s'émouvoir, l'UMP aussi à l'image d'Henri Guaino qui a affirmé au micro de France Info, jeudi 21 novembre : « On est en train de réinventer, de réintroduire dans le débat public l'extrême droite telle qu'on a pu la connaître dans les années 30 ». Il en a profité pour affirmer son soutien à Christiane Taubira contre les attaques racistes qu'elle a subi. Certains y voient une déclaration plutôt ironique en rappelant qu'il est l'homme du discours de Dakar du 26 juillet 2007 (discours affirmant que l'homme africain n'était pas entré dans l'Histoire). Olivier Besancenot du NPA a lui aussi mis en garde contre un FN « sauce année 30 » samedi soir chez Ruquier : « Moi je suis un militant antifachiste, antiraciste et Marine Le Pen on l’a présentée comme plus soft que son père.  Le logiciel du père, c’était l’extrême droite noir et blanc, c’était pro l’Algérie française, pro libéraux. La fille a fait autre chose. Elle a changé de logiciel. Elle prend de l’anticapitalisme et elle prend du nationalisme. Elle fait du national-anticapitalisme. C’est le logiciel de l’extrême droite des années 30. C’est au moins aussi dangereux que celui du père. Et moi je combats ça. C’est tout. »

Bien évidemment cette peur est normale et même saine mais...pourquoi ce discours apparaît-il maintenant ? Après tout, les idées de Marine Le Pen et de son parti ne sont pas nouvelles... Que cherche-t-on en développant ce parallèle ?

Développer la peur est-il devenu le seul moyen pour les partis politiques traditionnels de tenter leur reconquête ? Parce qu'ils ne semblent pas proposer de solutions satisfaisants les Français, le discours envers le FN est-il devenu le seul moyen de survie politique ?

Bien évidemment, cette politique de la peur n'est pas née soudainement, elle est le résultat de la banalisation de l'extrême droite au sein du monde politique mais aussi dans le monde journalistique. Les médias ont joué et jouent toujours un rôle capital dans la montée du populisme : il suffit de regarder la presse magazine pour s'en convaincre. Si on laisse de côté Valeurs Actuelles ou Minute dont les Unes ont fait les choux gras ces dernières semaines et dont la prise de position éditoriale est source de polémiques, on constate que tout est fait pour susciter la peur et l'indignation des Français : dossiers sur les assistés (Le Point), sur l'immigration, sur l'islam (L'Express).

Ce serait donc ainsi l'arroseur arrosé ? A force de crier au loup à tout va, on a fini par ne pas voir le vrai arriver ? Je suis certainement très cynique mais j'ai plutôt l'impression que tout ceci est calculé...il faut vendre, avoir l'info la plus rapide et la plus détonnante et on fait donc tout et n'importe quoi pour susciter la réaction des gens (la multiplication des sondages est symptomatique de cette recherche du « scoop » à tout prix).

Ainsi, on monte un événement en épingle à coup d'articles cinglants et de sondages, on lui donne une caution historique pour justifier son importance et sa portée, puis on cherche à le combattre au nom de cette même mémoire historique : « ne pas refaire les même erreurs que dans le passé »...du moins jusqu'au prochain scoop... l'Histoire mérite bien mieux que ça...

Publicité
Publicité
Commentaires
La culture par une nulle
Publicité
La culture par une nulle
Archives
Publicité